"Un cadavre en vadrouille" chapitre 12

 





Chapitre 12

 

 

MERCREDI SOIR et JEUDI

 

En rentrant le soir chez soi, Ben y trouva sa femme Julie assise confortablement sur le divan, jambes croisées et ordinateur portable sur les genoux. Elle leva rapidement les yeux pour observer la tête de son mari. Il a l’air détendu, presque serein, donc tout va bien, et elle replongea dans son activité après lui avoir décoché un sonore salut.

Ben alla droit à la cuisine chercher un verre d’eau et revint au salon. Même décoiffée et habillée avec une élégance toute approximative, Ben la trouvait si belle qu’il ne se lassait pas de la regarder. Sans décoller le regard de son ordi, elle lui lança que le repas était déjà au four et bientôt prêt. Il en profita pour se plonger à son tour dans les journaux qu’il n’avait jamais le temps de lire le matin. Mais ses pensées vadrouillaient ailleurs pour revenir vers Tom Serena. Il l’avait trouvé assez sympa, singulier, mais sympa. Il avait eu le sentiment qu’il avait répondu de manière sincère à leurs questions. Mais combien de coupables aux accents sincères avait-il bouclés au cours de sa carrière ? Il y avait toutefois quelque chose qui le chiffonnait. C’était un détail qu’il n’arrivait pas à identifier. L’audition avait pris une tournure surréaliste. Il s’en repassait le film en boucle dans sa tête. C’est comme si Tom Serena savait quelque chose, mais quoi ? A un certain moment, il avait dit une phrase qui avait allumé un petit voyant rouge dans son esprit. Peut-être que ça allait lui revenir après une bonne nuit de sommeil. Il faudrait une enquête de personnalité, se disait-il, mais il savait que c’était trop tôt, à ce stade de l’enquête (sans le moindre élément de preuve), pour la demander aux collègues neuchâtelois. Demain, je vais charger Délia de recueillir tout ce qu’on peut déjà savoir sur Tom Serena.

Entre-temps, sa femme avait fini de consulter son ordi et vint le saluer convenablement par un baiser joyeux.

 

Le matin suivant, alors que Tom Serena profitait cette fois avec joie de son trajet en train, Ben organisa une brève réunion pour répartir les nouvelles tâches. Bols de café ou de thé à la main, chacun se replongeait à sa manière dans le dossier.

Stéphane et lui firent un résumé de l’audition du jour précédent. Ils passèrent aussi en revue les informations fournies par Arthur, en complétant le tableau.

-      Pour l’heure, on va se concentrer sur Tom Serena, annonça Ben. C’est le seul qui a un semblant de mobile. Délia, peux-tu te charger de répertorier tout ce qu’on peut trouver sur lui ? Quelqu’un sait déjà ce qu’il fait dans la vie ?

-         J’y vais, chef.

-    Robert ou Délia, les enregistrements des caméras de vidéo-surveillance donnent quelque chose ?

-     Désolé chef, on n’a pas encore eu le temps de les visionner. Je vais le faire de ce pas, répondit Robert.

-       Ok. Ce serait sympa si elles pouvaient nous révéler des éléments intéressants.

-      Si on se revoit dans, disons… (Ben consulta sa montre) deux heures… Ce serait trop tôt ?

Robert, Stéphane et Délia se consultèrent du regard.

-    Dans trois heures, chef ? Délia exprima à haute voix ce que les œillades avaient formulé silencieusement.

-       On y va pour dans trois heures, confirma Ben, et chacun partit rejoindre son bureau.

 

Ben était favorable à la technique de la multiplication des débriefings, même si brefs et succincts, car l’avantage était que toute l’équipe était informée en même temps. Ils pouvaient ainsi procéder tous en parallèle.

Trois heures plus tard, ils étaient de retour et ce fut Robert qui ouvrit les danses :

-         Vous cherchiez une valise, chef ? J’en ai une, et quelle valise !

-    C’est la vidéosurveillance du Bistrot Dumas. Voici ! Jeudi, 20 h 37. On voit un homme qui porte une immense valise.

Ben se pencha dans la tentative d’y voir mieux. Stéphane regardait aussi, collé dans son dos. Robert passait et repassait l’enregistrement.


Comme souvent avec ce genre de vidéos, les images étaient de piètre qualité. On y voyait une silhouette avancer sur le trottoir depuis la droite, tirant une grosse valise et marquer un bref arrêt devant le bistro pour examiner la carte affichée à côté de l’entrée. La nuit était déjà tombée et il faisait sombre. Mais le visage se découpait un instant, grâce à la lumière s’échappant des fenêtres et de l’enseigne du bistro. Un visage flou. En termes de preuves, devant un tribunal, n’importe quel avocat aurait vite fait de semer le doute. Mais dans l’immédiat, en tout cas pour eux, cette image était fort utile.

-         Chef, est-ce que vous pensez ce que je pense ?

-         Je pense ce que vous pensez. Notre gaillard ressemble drôlement à Tom Serena.

-       C’est vrai qu’on ne lui a pas posé la question s’il s’était récemment rendu à Genève.

-     Non, on ne la lui a pas posée. Son audition a été tellement étrange, que pour finir, j’ai oublié la moitié des questions qu’on aurait dû lui poser.

-         Délia, que savons-nous sur Tom Serena ? Qu’est-ce qu’il fait au juste dans la vie ?

-       Actuellement, pas grand-chose. Il est au chômage. Donc, Tom Serena, 35 ans, marié à Estelle Klopfenstein, pas d’enfants. Il a réussi de brillantes études en économie à l’Université de Neuchâtel. Il travaillait pour une association qui a fait faillite.

-         Une association qui s’occupait de quoi ?

-       Justement, ce n’est pas très clair. C’est probablement pour ça qu’elle a fait faillite. Elle prônait le commerce équitable ainsi que le respect et la protection de l’environnement. Mais quant à savoir ce qu’elle proposait comme prestations ou produits, c’est flou.

-         Mais qu’est-ce qu’il foutait à 20 h 37 à Genève et dans les parages de la scène du crime ? Se demandait Stéphane.

-  Il attendait peut-être la bonne occasion pour aller récupérer le corps et s’en débarrasser. Il l’a tuée le matin. Il a dû quitter les lieux car dérangé. Il a traînassé en attendant le bon moment ; revenir à la faveur de l’obscurité de la nuit. Pour finir, il a dû renoncer et il l’a laissée sur place. Va savoir ce qui traverse la tête de ces drôles d’oiseaux.

C’était Robert qui réfléchissait de la sorte à haute voix.

-     Oui…. Ça pourrait se tenir, observa Ben. Il a un mobile, on peut le situer à proximité du lieu du crime. Il en a eu l’opportunité et les moyens.

-         On récupère le traçage de son portable ? demanda Délia.

-   Oui, c’est une excellente idée. On saura quand il est arrivé à Genève depuis Neuchâtel et où il a passé sa journée. Sa femme Estelle nous a donné son numéro.

Ben s’attarda encore un instant sur le visage figé par l’arrêt sur image. Il se pouvait que, en fin de compte, ce dossier allait rapidement trouver son dénouement.

-     Robert, essaye de mettre la main sur le rapport d’autopsie. Il faut qu’on soit sûrs de la chronologie autant qu’il soit possible de l’être. Je veux connaître les résultats du bol alimentaire. Merci.

-         Pour moi, on le tient, se réjouissait déjà Stéphane.

-         Peut-être, répondit Ben. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise durant ma carrière, c’est qu’un policier ne doit jamais avoir des opinions, mais seulement des preuves. Allons voir si on arrive à les mettre sous toit.

...

texte : E. W. GAB
relecture : Delphine Guyot 





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