"Un cadavre en vadrouille" chapitre 8





Chapitre 8

 

 

Tom Serena se réveilla fatigué. Il avait pourtant dormi comme une souche. Dès son réveil, les événements de la veille étaient venus tourner en boucle dans son esprit. Bien calé dans son lit, la question qui le taraudait était de savoir qui avait bien pu tuer Louise et pour quelle raison. A force d’y penser, il était de plus en plus convaincu qu’elle avait dû être assassinée chez elle. Le portail entrouvert, la porte-fenêtre pas verrouillée… Quelqu’un avait été, en tout cas, présent sur les lieux. Un cambriolage qui avait mal tourné ? Mais du peu qu’il avait pu voir des lieux, tout était propre, en ordre et bien rangé. De plus, il devait s’agir d’un cambrioleur qui le connaissait bien, vu qu’il s’était débarrassé du cadavre chez lui.

A moins que l’assassin, après l’avoir tuée ailleurs, ne se soit rendu chez Louise dans un deuxième temps pour chercher quelque chose. Mais quoi ? Louise n’était pas riche, n’était pas (en tout cas à sa connaissance) un agent secret ni une espionne (donc pas de documents sensibles ou clés USB à récupérer). Était-elle à connaissance d’un secret que le meurtrier souhaitait garder… secret ? Il en doutait, mais va savoir ! Au fil de sa vie, alors qu’il était du genre plutôt naïf, il avait dû se faire à l’idée que beaucoup de gens avaient, parfois de manière inattendue, des secrets insoupçonnables (et inavouables).

Ses neurones s’embrouillaient rapidement, ils s’enlisaient dans une logique peu rigoureuse qui dérapait dans toutes les directions.

Bon, résuma-t-il, la seule chose qui est certaine est que l’auteur me connaît. Ah non, il n’y en a une deuxième : il avait les clés de chez moi. Est-ce-que je peux en conclure qu’il s’agit d’un proche ? J’aurais tendance à croire que oui. Mais peut-être non ; ça pourrait être un ami du proche qui a mes clés et auquel, il les a dérobées. Peut-être pour en faire une copie à son insu. Va savoir.

A propos de savoir, il se donna comme instruction de se rappeler qu’il ne savait rien de la mort de Louise. Il imaginait que sa femme ou quelqu’un d’autre, tôt ou tard, allait lui annoncer la nouvelle. Avoir l’air surpris. Demander si elle est morte d’une crise cardiaque, d’un accident de voiture ou si elle est tombée dans les escaliers. D’ailleurs, est-ce que je suis sensé savoir qu’elle est morte/trouvée chez elle ? Non. Mais, ça pourrait être les escaliers d’un supermarché, ou les escaliers de la gare, ou… Arrête ! Il y a des milliers d’escaliers partout, d’où on peut tomber. Laisse-tomber les escaliers !

En tout cas, se dit-il, j’aurais bien voulu être une petite mouche pour voir la tête de l’auteur lorsqu’il saura que Louise a été retrouvée chez elle. Je crois qu’il ne s’attendait pas à ce coup-là. Cette pensée le mit (un peu) de bonne humeur.

Pour l’heure, il se fixa comme but de se rendre à la cuisine et de préparer le petit-déjeuner. Faire comme toujours, faire comme si rien, absolument rien, ne s’était passé. Mais tout en se dirigeant vers sa machine à café, son esprit s’égarait en conjectures. Il y en avait tellement, qu’il s’y perdait dedans comme dans un labyrinthe mal conçu.

Sa mère n’arrêtait pas de lui dire qu’il avait trop de fantaisie et que dans la vie, les choses suivaient une logique simple : cause-effet. Point barre. De son côté, il trouvait que la vie était sacrément compliquée et que si le postulat cause-effet lui paraissait parfaitement correct, c’était sur les causes qu’il trébuchait, car il estimait qu’elles pouvaient être vachement tordues.

Assis à sa table de cuisine, il se demanda ce qu’il aurait fait, après le petit-déjeuner, en temps normal. Ta balade quotidienne. Ok, alors c’est parti. Douche, s’habiller, se chausser. Il vit la valise abandonnée dans le couloir le soir précédent. Tour à la cave pour la remettre en place, ni vu ni connu. Et départ.

 

De retour de sa promenade, une heure après, personne ne s’était encore manifesté, ni sur son portable, ni sur son téléphone fixe. Une pointe d’inquiétude le tarabustait. Se retrouver dans la peau d’un auteur de crime innocent, ce n’était vraiment pas confortable.

C’est trop tôt ! Si ça se trouve, elle n’a même pas encore été découverte. De plus, je vais être parmi les derniers à être informés. Non, tu ne prends aucune initiative ! Tu n’appelles pas Estelle ! Tu ne fais rien. Rien !

Nouvelle expérience de vie : découvrir à quel point c’était difficile, selon les circonstances, de ne rien faire.

A force de ne rien faire, il lui vint une idée : je peux quand même élaborer un résumé des éléments en ma possession, comme on voit dans les films policiers. Il y avait toujours ces tableaux pleins de photos et de flèches qui partaient dans tous les sens.

OK, je vais dresser un tableau avec les informations que j’ai.

Vu qu’il n’avait pas de tableau, il alla se chercher une tonne de pages A4 blanches qu’il scotcha toutes ensemble. Après réflexion, il alla coller le tout sur le mur de sa chambre d’amis. Le fixer au mur du salon, lui paraissait inapproprié. OK, chambre d’amis. De toute manière, il n’avait pas d’amis qui venaient dormir chez lui, et la chambre s’était transformée au fil du temps en une sorte de débarras. Mais surtout, il pouvait la fermer à clé en cas de visites impromptues, voire inopportunes.

Satisfait de son œuvre d’assemblage, il décida de se lancer au crayon, histoire de pouvoir effacer les ratures et fausses informations. Il s’y mit avec application. En une autre petite heure, voilà le travail, digne de la meilleure série télé. Tout y était, victime, entourage (il n’avait pas encore les photos, mais il songeait à comment y remédier car il trouvait qu’avoir les portraits était parlant), circonstances extravagantes de la découverte, horaires, détails. Travail qui dans l’immédiat ne l’avançait pas beaucoup.

 

L’inspecteur-chef Ben Roche (Ben venait de Benjamin, mais à partir de ses 15 ans, il avait choisi de se faire appeler Ben, car pour lui Benjamin était un prénom de gosse) aurait bien voulu être une mouche pour voir la tête des différents membres de la famille de Mme Louise Klopfenstein à l’annonce de de sa mort. Mais il savait que c’était foutu, car Marianne avait alerté tout le monde dès qu’elle avait repris ses esprits.

Dommage, car il aimait bien voir les réactions des gens sous l’effet de la surprise … ou pas.

Après avoir débarqué Marianne chez elle, il était rentré au commissariat et avait réuni son équipe. Un nouveau tableau avait été inauguré dans la salle principale. Il fallait maintenant commencer à y coller toutes les informations déjà recueillies.

Pour l’heure, sur le tableau, il y avait juste les fondamentaux. Un petit tour dans les registres de l’état civil avait permis de reconstruire la constellation familiale : Louise, mari prédécédé, les filles, leurs conjoints, un petit-fils. Dans un premier temps, le cercle des frères et sœurs allait être relégué en périphérie (à y revenir dessus éventuellement si besoin était). Lieu de la découverte du corps. Cause de la mort et probable arme du crime (attendre les résultats définitifs de l’autopsie). Signe particulier : corps emballé dans du papier à bulles. Détails : portail donnant sur le jardin entrouvert et porte-fenêtre donnant sur la terrasse déverrouillée. Fait notable : mains emballées hermétiquement dans deux sachets à congélateur. Estimation de l’heure de la mort : cadavre pas frais (attendre le rapport d’autopsie). Dernière personne connue (en tout cas à ce point de l’enquête) à avoir vu la victime en vie : sa fille Marianne ; mercredi, thé sur la terrasse chez Louise : Marianne est partie vers les 17 heures.

-        Stéphane, peux-tu appeler l’institut médico-légal et demander qu’ils nous adressent par mail les photos des vêtements de Mme Klopfenstein ? Merci. Ensuite, peux-tu passer chez Mme Marianne Klopfenstein et vérifier s’il s’agit de la même tenue qu’elle portait lorsqu’elles ont bu leur thé ensemble ? Merci.

-       Ensuite, peux-tu convoquer le premier cercle pour demain, dès 9 heures ? Je ne les veux pas tous ensemble, mais les uns après les autres, comme d’hab. Merci.

-    Chef, apparemment il y en a un qui n’est pas sur Genève. Il s’agit de M. Tom Serena, le mari d’Estelle, la deuxième fille de la victime. Il vit à Neuchâtel. On croit savoir qu’il est séparé de sa femme.

-       Ok, merci. Je te redis. Convoque déjà la fille.

-      Délia et Robert, allez faire un tour au 14 Av. Dumas et dans les immeubles voisins. Enquête de voisinage. Voir si quelqu’un a vu quelque chose. Puisque vous y êtes, allez à la recherche de toutes les caméras de vidéo-surveillance du coin et faites-moi une copie des enregistrements, le plus loin en arrière possible : l’idéal est entre mercredi 17 h 00 et vendredi 10 h 00. Merci.

Dans l’immédiat, Ben avait faim et il décida que, pour sa part, il allait inspecter le coin cuisine à la recherche d’un croissant (qu’il trouva) et se faire un grand café.

...

texte : E. W. GAB
relecture : Delphine Guyot 






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