"Un cadavre en vadrouille" chapitre 3

 






Chapitre 3

Il décida d’oublier (un peu) que sa belle-mère était sa belle-mère et il commença à la traiter comme un être humain digne des soins appropriés aux circonstances.

Il s’évertua donc à lui expliquer la suite des événements.

Voilà, Louise (sa belle-mère s’appelait en effet Louise, et aussi loin qu’allaient ses souvenirs, il ne se rappelait pas d’une seule fois qu’il l’ait appelée par son prénom de son vivant), je vais donc t’emballer dans ce papier à bulles, ensuite je vais te déposer dans cette valise et je vais te ramener chez toi. Je vais faire en sorte qu’on puisse retrouver ton corps le plus rapidement possible afin que la police puisse faire son travail et trouver celui ou celle qui t’a fait ça. Bon, j’espère que ce n’est pas une de tes filles, quand même ! Bref. Voilà.

Mais comment faire pour l’emballer sans laisser des traces de soi durant toute l’opération ? Il lui aurait fallu pouvoir bénéficier d’une combinaison intégrale de protection, style médecin légiste.

D’ailleurs, en songeant aux médecins légistes, il se rappela que l’une des premières opérations qu’ils effectuaient sur le corps d’une victime était celle d’enfermer les mains de celle-ci dans des cornets en papier. Puisqu’il n’en avait pas sous la main (à part celui du pain, mais il ne lui paraissait pas opportun de mélanger preuves légales et miettes), il se dit que des sachets en plastique pour le congélateur pouvaient faire l’affaire.

Et vu qu’il n’avait pas de combinaison de médecin légiste non plus, c’était lui qui allait s’emballer de la tête aux pieds avec des sacs poubelles.

Fort de ces idées, il s’achemina vers la cuisine en rasant le mur du couloir. Sa femme, de caractère prévoyant, en avait acheté des stocks entiers et de toutes les dimensions.

Les petits allèrent envelopper ses pieds et il découpa une capuche pour sa tête. Il fit des trous dans les grands pour passer ses jambes, ses bras et sa tête. Il arrima le tout à l’aide de scotch. Il dénicha un masque de bricoleur pour couvrir sa bouche et son nez. Des lunettes de plongée allaient aussi faire l’affaire.

Ainsi paré, il se sentait d’attaque.

En revenant dans le couloir, il observa que sa valise était pleine de poussière. Il leva les yeux au ciel. Il fallait passer l’aspirateur.

Bon, Ok. Passons l’aspirateur. Toujours collé au mur du couloir, il attrapa la valise et il la ramena à la cuisine. Passer l’aspirateur ne fut pas une mince affaire, car il avait tendance à aspirer aussi sa combinaison. Il batailla ferme et s’arrêta quand le résultat lui parut satisfaisant.

Il regarda sa montre. Mon dieu, que le temps file vite. Le temps passant, l’opération qu’il redoutait le plus ne pouvait plus être retardée. Mettre Louise dans la valise.

Ok, il faut y aller.

OK, il faut y aller.

Basta, se dit-il, il faut vraiment y aller !

Il y alla.

Cette fois, on y était.

Il commença par emballer les mains dans les cornets en plastique bien scellés avec du scotch.

Il posa ensuite la valise ouverte à côté de la chaise où était assise sa belle-mère.

Il capitonna l’intérieur de papier bulles en double couche, en laissant une longue traine à l’extérieur, dans le but de finir d’emballer le corps une fois placé à l’intérieur. Je vais la glisser dedans et ensuite je vais finir de l’emballer, récapitula-t-il une fois encore.

Je fais quoi si elle est rigide comme un bâton ?

Je ne vais quand même pas la découper pour qu’elle entre dans la valise !

Il fallait commencer l’opération et voir ce que ça allait donner.

Avec précaution, il la prit par les épaules, en chuchotant (il ne savait pas pourquoi, histoire peut-être de ne pas l’effrayer) je vais t’enfiler dans la valise, je vais y aller tout doucement.

Qu’avait-il cru ? Qu’elle allait coopérer ? Teigne de son vivant avait-elle été, teigne demeurait-elle aussi dans la mort.

Tout son corps se faisait récalcitrant. Il avait tendance à s’affaler et à déraper de manière désordonnée, tantôt à gauche, tantôt à droite. Il devait la redresser, recommencer, éviter qu’elle ne tombe. Qui plus est, tomber en tas, un tas lourd.

Purée, qu’elle est lourde. Mais qu’est-ce que t’as bouffé la dernière fois ? Et voilà qu’elle reglissait déjà. Il se grouilla de déplacer la valise, juste à temps avant qu’elle ne s’affale complètement au sol. Il réussit de justesse. Son corps se retrouva partiellement à l’intérieur.

Bon, c’est déjà un début.

A force de pousser, hisser, déplacer, Louise était enfin assise dans sa valise.

Une chose était certaine, son corps n’était pas saisi de rigidité cadavérique. Toutefois, il ne se souvenait plus si cela signifiait qu’elle était morte depuis peu ou justement depuis longtemps. Pourtant, connaître l’heure du décès est capital dans toute affaire criminelle, se disait-il.

Bon, on va y songer plus tard. Il faut maintenant finir de l’installer. Au prix d’intenses efforts, il réussit à la mettre en position fœtale.

Il fut ravi du résultat, la valise semblait lui aller comme un gant. Finir de l’emballer dans le papier bulles fut plutôt facile. L’arrimer solidement et boucher tous les coins vides prit un petit moment encore. Voilà, fit-il satisfait. Comme ça, tu ne bougeras pas d’un millimètre.

Avec un soulagement infini, il put enfin boucler la valise. Il faillit s’assoir dessus. Mais t’es con ou quoi ?

Il fallait maintenant songer à la suite des opérations.

Il y avait un train en partance pour Genève toutes les heures.

Tu vois, Louise, je vais te ramener chez toi. Je sais que tu n’es pas du genre à dire merci, mais j’espère que tu sois un peu contente quand même.

Alors, la suite des opérations… Il reprit de la distance, installé à nouveau sur son tabouret et observa les lieux pour évaluer ce qu’il convenait de faire. La valise était bouclée. Quel soulagement de ne plus avoir sa belle-mère dans le couloir. Il respirait à nouveau. Sa présence avait été un tantinet encombrante. Il pouvait se réapproprier son chez soi.

Laver la chaise. La mettre sous la douche. Laver tous les sacs poubelle, gants, masque : les mettre dans un baquet et les laisser tremper un peu. Les jeter ensuite dans des poubelles publiques. Laver le sol du couloir ? Jeter ensuite brosse et panosse ? Mah, peut-être exagéré ! Pour finir, il y renonça en songeant qu’il était chez lui et qu’il était normal qu’il y ait ses traces partout.

A part ça, et à part la valise, tout paraissait être rentré dans l’ordre.

Il se leva, ramassa la chaise, la mit sous la douche, la lava et la rinça au moins cent fois. Au moment d’ôter sa tenue de fortune, il angoissa. Avait-il oublié quelque chose ? Arrête et vas-y ! Il y alla et se sentit comme nu. Tant qu’à faire, il décida de se déshabiller complètement, mit ses habits dans la machine et lança une lessive à 90 degrés, chaussures comprises. Tant pis si elles n’y survivent pas, mais il faut ce qu’il faut.

Revêtu de vêtements frais sortant de l’armoire, il se sentit mieux.

Il faut y aller maintenant. Il se fait tard et je ne vais certainement pas garder ma belle-mère ici pour la nuit. Il chercha les horaires de train. Et il commença à flipper.


...

texte : E. W. GAB

relecture : Delphine Guyot 







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