"Un cadavre en vadrouille" chapitre 7
Chapitre 7
Aucun
membre de l’équipe technique et scientifique ne fut particulièrement troublé ou
ému de trouver un corps dans un tel état ; ils en voyaient de toutes les
couleurs et plus encore.
Ils
avaient supputé que l’auteur, après l’avoir bien emballé, avait été interrompu
dans ses projets d’embarquer le corps (pour le jeter dans une décharge ?
dans le Rhône ? au fin fond d’un bois ?) et avait dû l’abandonner sur
place.
Tous
s’affairaient donc tranquillement.
L’inspecteur
en chef Ben Roche observait d’un œil distrait cette
calme agitation usuelle, ses chaussures bien emmitouflées dans les
surchaussures d’usage, ses mains sagement gantées de gants jetables, et bonnet
sur la tête. Au fil des ans, il avait perdu l’habitude de se sentir ridicule dans
une telle tenue. Il examinait avec attention l’appartement pour s’imprégner des
lieux et de l’histoire qu’ils lui racontaient. Mais pour l’heure, ils ne lui
racontaient pas grand-chose.
Il
s’agissait d’un intérieur style petite bourgeoisie sans aucune touche
d’excentricité ou de fantaisie particulière. Il se sentait étouffé par la
surcharge de meubles de facture plutôt classique (que l’on puisse mettre dans
un si relativement petit salon tant de chaises, tables, table basse, commode
d’époque, miroirs, tableaux de natures mortes, et qui plus est encore un
buffet, échappait à son entendement). La cuisine n’était pas mieux. Il
s’agissait d’une sorte de couloir étroit dont un des murs avait été chargé
jusqu’en hauteur de tous les équipements nécessaires, choisis en contreplaqué
de bois d’une couleur sombre. Il n’y avait pas de porte-fenêtre donnant sur
l’extérieur. Il se demanda si l’architecte qui avait conçu les plans avait
manqué de budget, car un tel agencement était fort peu pratique voire
désagréable en cas d’envie de manger sur l’étroite terrasse.
Il
n’osa pas imaginer l’état de l’étage de ce duplex pas très vaste, mais il fut
(relativement) surpris en bien. La salle de bain, peu spacieuse, était
néanmoins agencée avec goût. Les trois chambres étaient lumineuses, simples,
agréables. Seule la chambre parentale, plus volumineuse que les deux autres,
avait une légère tendance au surencombrement. Aucune pagaille apparente.
L’appartement d’ailleurs ne montrait aucun signe de lutte. L’auteur avait-il
rangé et nettoyé après son méfait ? Il fallait donc tout passer au
bluestar.
Il
décida de se concentrer sur l’extérieur. La matinée était radieuse et l’attrait
de deux chaises longues, déjà sorties après l’hiver, quasi irrésistible. Une
fois encore, il ne remarqua rien de spécial. Pour le portail entrouvert, il
fallait attendre le relevé d’empreintes voire de traces d’ADN ; idem pour
la porte-fenêtre, qui avait été trouvée fermée mais pas verrouillée. L’assassin
était peut-être entré ou sorti par là.
Tout
paraissait propre et en ordre. Il fit le tour du jardinet ; un des
gaillards de la scientifique arpentait déjà l’espace à la recherche de tout
objet, indice, empreinte de pas, arme du crime, ou autre qui puisse être utile
à la manifestation de la vérité.
Ben
Roche traînassait ainsi vers le fond du mini jardin, au pied de la haie,
lorsque son portable sonna. Il fut surpris de voir s’afficher le numéro du
légiste. Déjà ! songea-t-il. Ça, c’est du rapide ! Même pas une heure
qu’il avait embarqué le cadavre.
- Oui Arthur, du nouveau ?
La
voix du légiste restait calme et sereine en toute (toute) circonstance. Ce fut
donc d’une voix calme et sereine qu’il répondit :
- Tu ne devineras jamais ce que j’ai à te dire.
- Vas-y, dis seulement.
- Le cadavre a les mains emballées dans des cornets en plastique style congélateur, hermétiquement fermés. Si le meurtrier avait pour projet de préserver des preuves, il ne pouvait pas mieux s’y prendre.
- Ah bon ! En effet, c’est singulier !
- Pour info, je peux déjà te dire qu’il s’agit d’une femme, race blanche, d’une soixantaine d’années, cheveux châtain foncé (avec traces de coloration), corps, mains, pieds bien entretenus. Un examen extérieur révèle un minuscule trou à hauteur du cœur ; j’aurais tendance à dire que c’est une lame très longue et très fine qui doit avoir percé le cœur. Dans ce cas, peu de saignements et une mort rapide. Mais ça doit être encore confirmé par l’autopsie. Son pull comporte le même trou ; la victime était donc habillée au moment de l’agression. Aucune trace visible de sang à l’intérieur de l’emballage de papier à bulles, mais il faudra vérifier au bluestar. Par contre, le papier à bulles comporte des traces de poussière. Il était peut-être stocké dans une cave ou un grenier. Bon, je te laisse.
Il informa le gaillard errant dans le jardin qu’il fallait avertir ses collèges de chercher tout objet long et fin pouvant faire office d’arme du crime.Et il raccrocha.
En se retournant face au bâtiment, Ben Roche se dit que somme toute, ce cas pouvait se révéler plus intéressant que prévu et ce fut avec un regain d’intérêt qu’il s’arrêta un moment pour observer de loin l’appartement de Mme Louise Klopfenstein. Que cachait donc cette lisse, convenable et bienséante image ?
Il fallait maintenant s’assurer de l’identité de la défunte ; mais à son avis, la probabilité qu’il puisse s’agir de quelqu’un d’autre que la propriétaire des lieux, était bien faible. D’un pas lourd, il s’achemina vers la loge de la concierge pour obtenir les coordonnées de ses enfants. Il trouva celle-ci attablée et encore toute tremblotante devant un grand verre déjà bien entamé contenant un liquide ambré (Du cognac ? Du whisky ? Du porto, peut-être ?). Ce fut ainsi dans une certaine confusion, qu’elle lui fournit ce qu’il cherchait. En sortant de la loge, il n’eut besoin toutefois de prendre aucune initiative, car une jeune femme affolée déboulait à l’instant même dans le hall de l’immeuble. La concierge avait oublié de rappeler la fille aînée. Celle-ci avait alors appelé sa mère. Ce fut un des membres de la scientifique qui avait décroché. Ce dernier avait hélé l’inspecteur-chef, mais celui-ci était au jardin. Paniquée, la jeune femme avait raccroché et sauté dans sa voiture. En voyant les rubans jaunes et toute cette activité, elle se précipita dans l’immeuble, terrifiée. Il ne fallut à Ben Roche aucun esprit de déduction pour supposer qu’elle devait être l’une des trois filles. Il la bloqua avant qu’elle ne puisse s’avancer plus loin. Il se présenta.
- Qu’est ce qui se passe ? C’est l’appartement de ma mère. Il lui est arrivé quelque chose ?
- Venez avec moi ; je vais vous expliquer.
Il préféra
l’éloigner un peu de la vision du va-et-vient imperturbable des hommes. Cette
indifférence pouvait être perçue comme de l’insensibilité et ressentie comme
choquante par les non habitués.
Il la guida à
l’extérieur, dans le soleil, et l’invita à s’assoir avec lui sur le muret
longeant l’immeuble.
Il lui expliqua la
situation, ce qu’ils avaient trouvé (en omettant le détail du papier à bulles)
et lui demanda si elle se sentait prête à l’accompagner afin d’identifier
formellement le corps.
Elle pâlit. Il
crut qu’elle allait vomir, s’évanouir, défaillir.
- Il y a quelqu’un que nous pouvons appeler pour venir vous soutenir ?
Elle faisait signe
que non de la tête. Elle sortit une petite bouteille d’eau de son sac. Sembla
aller un peu mieux après avoir bu une gorgée.
- Oui, j’aimerais la voir.
Elle était sonnée.
Encore à peine hier après-midi, elles avaient bu ensemble une tasse de thé sur
la terrasse. Elle l’avait saluée en partant et souhaité la bonne nuit. Elle lui
avait dit à demain.
Jamais elle
n’aurait pu imaginer en la quittant, que ce ‘demain’ avec elle n’allait pas
exister.
Ben Roche rappela
Arthur en s’éloignant de quelques pas. Il lui expliqua qu’il était avec la
fille aînée de la probable défunte, et demanda s’il était trop tôt pour passer
l’identifier.
- Non, c’est tout bon, je n’ai pas encore commencé l’autopsie. Ça tombe même bien, comme ça, après je peux y aller sans autres. Je la prépare.
A la vue du corps
de sa mère, Marianne Klopfenstein s’évanouit cette fois pour de bon.
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