"Un cadavre en vadrouille" chapitre 11
Chapitre 11
Sur le chemin du
retour, le silence régnait dans la voiture, Ben et Stéphane étant chacun plongé
dans ses pensées.
Le natel de Ben
sonna ; c’était Robert. Ben enclencha le haut-parleur.
- Bonjour chef, comment ça va ? Je viens d’avoir des nouvelles d’Arthur. Le rapport d’autopsie n’est pas encore finalisé, cela prendra encore quelques jours. Mais il tenait à nous communiquer ce qu’il sait déjà, et surtout un truc qu’il trouve bizarre. Il m’a dit que la livor mortis est incompréhensible. C’est une pagaille complète. Il aurait tendance à retenir que le cadavre a été déplacé à plusieurs reprises. Il suppose que la première position du corps était allongée sur le dos ; le corps doit avoir stationné ainsi quelques temps de sorte que le sang a afflué vers l’ensemble du dos de manière uniforme. Ensuite, le corps doit avoir été mis en position assise. On a des afflux secondaires dans les fesses. Louise devait être décédée déjà depuis un certain temps. Ensuite, c’est la pagaille. Le corps a été certainement manipulé de différentes manières et à plusieurs reprises. Il nous a souhaité bonne chance pour démêler tout ça. Il m’a aussi dit qu’il a relevé un léger hématome derrière la tête. Rien de grave, aucun saignement. Son degré de maturation laisse penser qu’il est intervenu immédiatement avant le décès. Il dit que Louise a pu, après avoir été poignardée, faire encore quelques pas avant de tomber en arrière. Elle a probablement cogné sa tête contre un meuble avant de toucher terre.
Enfin, Robert
raconta à quel point Arthur était tombé en admiration (si on pouvait parler en
ces termes) devant l’adresse du coup au cœur. Précis, net. Efficace. Soit un
vrai coup de bol, soit l’auteur s’y connaît, a-t-il dit. Pas de blessures de
défense. Les prélèvements effectués sous les ongles sont partis au laboratoire.
Il insiste à dire que la blessure n’a pas dû saigner. Tout au plus une ou deux
gouttelettes. Il nous rend attentifs par contre au fait que de minuscules projections
de sang ont pu se former lors du retrait de l’arme de la plaie. L’auteur a pu
en être éclaboussé. Donc, ça vaut la peine de vérifier ses effets personnels.
Par contre, il a
toutes les peines du monde à établir l’heure exacte du décès. L’emballage fausse
les données. Il pense que l’analyse du bol alimentaire pourra peut-être nous
éclairer ; mais il est encore au laboratoire. Il ne peut que donner une
estimation : certainement plus de 24 heures avant la découverte du corps.
- Merci Robert. À plus.
- On aurait tendance à croire que Louise a été tuée à son domicile, observa Stéphane. Elle était déjà levée et portait ses vêtements d’intérieur. Si décès plus de 24 heures avant la découverte, on se situe vers le jeudi matin.
- Elle se lève, continua Ben. Se change. Va à la cuisine boire son café. La scientifique a trouvé une tasse rincée posée à côté de l’évier. On sonne. Elle ouvre. Elle ne se méfie pas. Aucune trace de lutte. Ou bien l’auteur a ensuite tout bien rangé après son passage. Elle est agressée par surprise. Fait quelques pas en arrière, tombe en se cognant la tête. Elle est morte.
- L’auteur veut transporter le corps ailleurs. Pour dépister l’enquête ? Il l’emballe. A-t-il été dérangé ? Il quitte les lieux par la porte-fenêtre donnant sur le jardinet ; sort par le portail. Il n’a pas le temps de bien le fermer. Il est pressé ; il ne veut pas être vu.
- Mais à quoi ça rime les sachets avec lesquels il a emballé ses mains ? C’est un non-sens. Or, dans les histoires d’homicide, tout a toujours un sens. Il ne faut pas oublier ces sachets. Ne pas les oublier, insista Ben plus pour lui-même que pour son subordonné.
Après un autre moment de silence, Ben ajouta :- On n’est quand même pas sortis de l’auberge. On sonne, elle ouvre. Donc, elle ne se méfiait pas. Mais de combien de personnes qui sonnent à nos portes, on ne se méfie pas ? Moi, par exemple, je ne regarde jamais par mon œil-de-bœuf avant d’ouvrir. J’ouvre et j’avise.
- Oui, répondit Ben. Mais combien de personnes laisserais-tu entrer ? Je pense que facteur, témoins de Jéhovah, vendeurs ambulants, et autres casse-pieds, on les laisse dehors. Or, elle a laissé entrer celui qui a sonné. Le meurtrier l’a frappée de face, pas de dos. Il n’y a pas de traces de lutte ni de blessures de défense. Donc, ils discutaient. C’était soit quelqu’un qu’elle connaissait bien, soit qui lui était suffisamment familier pour le laisser entrer, ou encore quelqu’un avec qui elle se sentait en confiance. On a donc les membres de la famille, la concierge, les voisins (en tout cas certains), les amis/es, ou les membres d’une autorité, comme un pompier ou un policier.
- Cela en fait du monde !
- Oui, mais il faut chercher le mobile, Stéphane. Le mobile. Sans mobile, pas de meurtre.
- Oui chef, bien chef ! Fit, taquin, Stéphane.
- Pour l’heure, nous en avons un seul qui semble en avoir un. Tom Serena.
- Et si on allait se manger un morceau ? Il fait beau, il faut en profiter ! Prends sur Morges, on va sur les quais !
- Vous êtes sûr chef ? Bistro sur quais, ce n’est pas donné ! Pas sûr que ça rentre dans la note de frais.
- Mais oui, je suis sûr Stéphane. C’est moi qui invite !
Ben fut heureux de
trouver la terrasse du Casino de Morges déjà ouverte en ce début de printemps.
S’il trouvait le bâtiment un peu trop… tout… à son goût, il appréciait par
contre la terrasse arborisée sise face à l’embarcadère. Il y régnait un petit
air de vacances, de relâche, de lâcher-prise. Le nez plongé dans le menu, il
savourait la brise légère qui jouait avec le soleil et le feuillage, dans un
chassé-croisé d’ombres et de lumière.
- Tu vois, homme sans foi ! Lança Ben à Stéphane. Le prix du plat du jour est tout à fait raisonnable et l’épaule de veau cuite à basse température aux pignons, avec polenta et épinards, me fait drôlement envie.
Ben estimait qu’il
était important de s’offrir et d’offrir à ses jeunes collègues des petits
moments de relax, de détente et de bien-être. Leur travail pouvait être
émotionnellement éprouvant (encore plus selon l’identité des victimes, surtout
s’il s’agissait de jeunes ou d’enfants), en plus d’être très exigeant
intellectuellement et techniquement.
Les anciens
collègues de sa brigade avaient quitté (chacun pour différentes raisons), au
fil du temps, l’équipe. Lui, il avait gradé, il avait pris de l’âge et il se
trouvait désormais entouré de trois jeunes collaborateurs, sortis tout frais de
formation. Il avait eu peur, un temps, de ne pas être accepté, de ne pas
réussir à s’intégrer, d’être dépassé (malgré les formations continues). Et puis
non, ça se passait à merveille ; il percevait à son égard des réelles
marques de respect de la part de ses subordonnés, et de son côté, il les
adorait. Fais gaffe à ne pas devenir trop sentimental, se prévenait-il ;
lucidité, lucidité, lucidité. Garde toujours ta lucidité. Mais pour l’heure, il
allongea les jambes sous la table, et en attendant les plats, il tourna le
visage vers le soleil avec un gros soupir de satisfaction.
En sortant des
locaux de la police, Tom prit une respiration profonde. Il avait le sentiment
de ne pas s’en être trop mal sorti. Il était soulagé, il se sentait plus léger.
Le pire était derrière lui. Maintenant, il était officiellement informé du
décès de Louise et il retrouvait sa liberté de mouvement. Il n’avait plus
besoin d’agir comme à l’ordinaire pour ne pas éveiller les soupçons par un
soudain et étrange changement dans ses habitudes et mode de vie.
Un projet lui
trottait désormais par la tête, et il était en train d’en évaluer les contours
tout en marchant pour rentrer. Plus il y pensait, plus il était séduit. Il
était surtout séduit par la perspective de revoir Estelle. Quelle meilleure
occasion ! Il n’aurait pas pu mieux rêver. Sa décision, en réalité, était
prise depuis le début, voire même alors qu’il était encore en train de discuter
avec les inspecteurs.
Je vais aller à
Genève. Quelques jours. A part Louise, les autres m’ont toujours
apprécié ; en tout cas, ils n’ont jamais fait preuve d’hostilité à mon
égard. Je vais leur dire que je suis accouru dès que j’ai su. Je vais les
rencontrer, essayer de glaner quelques informations.
Il se souvenait
avoir séjourné une fois dans un petit hôtel très charmant, à deux pas des quais
de Genève. Ce qui l’avait épaté à l’époque était qu’il se situait dans une rue
juste à droite de l’un des grands hôtels hyper chics (et dont il ne se
rappelait pas le nom). Il s’était alors senti comme un roi, un roi qui
séjournait juste à un pas d’un magnifique royaume, peu importait si pour l’atteindre,
il fallait longer le laid garage de l’hôtel 5 étoiles.
De retour à la
maison, il se rua sur son ordi. Le voilà, l’Hôtel de la Cloche, 6 rue de la
Cloche. C’est parti !! Après avoir réservé pour trois jours dès le
lendemain, il se jeta sur la valise (une autre, évidemment, et bien plus
petite). Il était excité, heureux, et il tirait mille plans sur la comète. Il
se voyait déjà débusquer le meurtrier, reconquérir Estelle, épater la police.
Ce fut ainsi, que le matin suivant, il prit nouvellement le train pour Genève, le cœur plein de rêves et à la main une valise, muette cette fois et toute légère.
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