"Un cadavre en vadrouille" chapitre 20 - l'épilogue

EPILOGUE
M.
Alain Deville se révéla être très, très, coriace. Il nia, nia, nia, et nia
encore. A tel point que même son avocat, confronté aux preuves versées au
dossier, ne savait plus quoi faire de ce client qui n’écoutait aucun de ses
conseils.
La
paire de baskets, trouvée chez lui lors de la perquisition, avait parlé. Cette
paire ultra sophistiquée, tant désirée, digne des meilleurs coureurs d’élite,
avec laquelle Alain Deville espérait gagner une multitude de courses.
Bien
sûr, prétendait-il sans en démordre, que je me suis rendu en visite chez Tom et
Estelle avant leur séparation. Mais Sonia, sa femme, confirma naïvement que
l’achat était récent. Elle avait même encore la facture car son mari,
pointilleux (pour ne pas dire maniaque), voulait que les comptes de la maison
soient tenus au centime près.
Les
clés aussi, parlèrent. L’empreinte du pouce de sa main droite s’y détachait
bien nette.
Alain
Deville soupirait, indigné, comme s’il avait à composer avec des imbéciles.
- Oui, il se peut que j’aie pu y toucher, pourquoi pas ? Cela ne prouve rien. Les clés étaient à la portée de tous, près de la porte d’entrée. Touchées par inadvertance, en déposant ou en reprenant un manteau, une veste.
La
preuve maîtresse fut minuscule. Si minuscule.
Une
gouttelette de sang s’était faufilée, propulsée à pleine vitesse lors de
l’extraction énergique de la lame du corps de Louise, entre les mailles du
magnifique bracelet en or de la magnifique Rolex d’Alain Deville.
- Je m’en souviens, je m’en souviens ! S’exclamait ce dernier. A l’occasion d’une grillade, dans le jardin de ma belle-mère, elle s’était blessée. Je suis infirmier, je l’ai soignée. Ceci explique cela.
Une
égratignure, déclarèrent Estelle et Marianne, qui n’a point saigné. Et c’est
moi - enfonça le clou Marianne - qui lui a mis un sparadrap car Alain n’avait
pas envie d’être dérangé pour une telle broutille.
Ensuite,
ce fut le défilé des autres preuves.
Interrogatoire après interrogatoire, sa résistance commença à s’effilocher, à s’amenuir. Il tenta alors la stratégie de se murer dans le silence.
Qui
peut dire comment fonctionne exactement l’âme humaine ? Un beau jour, il
se déclara vaincu, et passa aux aveux. Son récit fut long et détaillé.
Oui,
il avait tout prémédité.
Il
avait menti à Sonia sur le planning, pour pouvoir partir très tôt.
Pour
justifier son retard du soir, il avait ensuite prétexté des heures
supplémentaires. En réalité, il était attendu au travail à 11 h 30 seulement.
Il
connaissait bien les habitudes de Louise ; il savait qu’elle se levait toujours
dès 6 heures du matin.
Il
avait simplement sonné. Louise avait été surprise. Il avait prétendu vouloir
discuter avec elle du prêt de 10'000.- francs ; fixer ensemble les
échéances du remboursement. Il s’était excusé de débarquer chez elle sans préavis
et à une heure aussi matinale, en expliquant qu’ensuite, il devait se rendre au
travail. Il avait menti en lui disant que c’était Sonia qui avait insisté pour
qu’il vienne lui parler.
Louise
ne s’était pas méfiée, l’avait invité à la cuisine.
Dans
sa poche, reposait l’arme du crime. Un instrument chirurgical qu’il avait
subtilisé à l’hôpital.
- Elle n’a rien vu venir. Elle n’a même pas eu le temps de souffrir. Juste quelques pas avant de tomber en arrière. (Il garda pour lui la vision de ses yeux si stupéfaits, qu’il en avait ressenti une grande satisfaction. Voilà, avait-il pensé, cette fois c’est moi qui gagne et c’est à toi de fermer ton clapet).
Il
n’avait pas prêté attention, en retirant la lame de la plaie d’un coup sec, au
fait qu’une goutte, une minuscule goutte, avait glissé dans les mailles du
bracelet de sa Rolex.
Organisé
et méthodique, il avait tout prévu. Il avait enfilé l’arme dans le cornet en
plastique déjà prêt à cet usage qu’il tenait dans sa poche. Il avait posé le
cornet sur la table, en attendant d’aller chercher la valise qui se trouvait
dans le coffre de sa voiture qu’il avait parquée un peu plus loin dans la rue.
Il
avait ramené l’arme à l’hôpital, nettoyée sommairement et ajoutée dans le bac
des autres instruments qui partaient à la stérilisation.
L’arme
du crime, en effet, ne put jamais être retrouvée.
Il
était sorti une première fois de l’appartement par le jardin (car la porte de
Louise se refermait à clé automatiquement) pour aller chercher la valise. Tout
était calme, silence et quiétude. Pas âme qui vive. Il savait que la concierge
ne se levait jamais avant les 8 heures, habitude qui indisposait au plus haut
point Louise. Dans la valise, tout était prêt : combinaison de protection
intégrale et gants, le tout dérobé à l’hôpital. Il avait pu ainsi manipuler le
corps sans craintes d’y laisser des traces, afin de le déposer dans la valise.
Il avait dû batailler ferme, car la dépouille de sa belle-mère s’était montrée
récalcitrante ; il avait fallu la plier un peu.
Il
avait rangé sa combinaison intégrale dans un cornet et ajouté l’arme, elle
aussi bien emballée, pour qu’il n’y ait aucune contamination sur le cadavre.
Il savait qu’il devait se hâter pour respecter à la minute près le planning qu’il s’était fixé. A 6 heures 45, le voilà qu’il ressortait. Il était si concentré à surveiller les alentours, qu’il n’avait pas pensé à lever les yeux. Armand Dunand l’observait. (Par bonheur, avait pensé le Procureur ; dans le cas contraire, je n’aurais pas parié gros sur l’espérance de vie du vieux Monsieur).
La
suite était histoire connue. Il avait filé à Neuchâtel (tout en respectant
scrupuleusement les limites de vitesse pour éviter de se faire flasher). Faire
porter le chapeau à Tom, lui avait dès le départ apparu comme une évidence. Tom
était le malchanceux de service. Combien de fois, ils avaient ri avec lui (et
souvent de lui, sans qu’il ne s’en aperçoive) à l’occasion de ses récits
improbables sur toutes ces mésaventures qui n’arrivaient qu’à lui.
-
C’est
le seul être humain que je connaisse, s’attarda-t-il à raconter, capable
d’acheter un bocal de cornichons et d’y trouver une cuisse de grenouille. Il
nous affirmait qu’il avait développé un sixième sens qui lui avait dicté de
vider tout le bocal dans une passoire avant de commencer à manger les
cornichons.
De
plus, il le haïssait car il percevait chez lui une qualité qui lui faisait
totalement défaut : l’empathie. La gentillesse sincère de Tom le mettait,
dans son for intérieur, dans des états de furie qu’il alimentait
sardoniquement.
Il
savait que Tom était des plus routiniers. Sa balade des 9 heures du mat était
sacrée. Il était donc arrivé pile à 8 h 45 devant son domicile. Il l’avait
guetté et vu sortir.
La
copie des clés de son appartement était dans sa poche. Il avait soustrait sans
difficulté aucune, le double des clés chez Estelle, fait une copie et il les
avait remises à leur place.
Monter
les quatre étages avait été un vrai défi. Plus lourde que prévu, s’était
révélée Louise dans sa valise.
Une
fois dans l’appartement, il s’était affublé de sa tenue de protection. Il avait
prévu de déposer le corps juste là, allongé dans le couloir, mais il avait
trouvé marrant l’idée de mettre Louise sur une chaise, en face de la porte
d’entrée.
Il
aurait bien voulu être présent pour voir la tête de Tom, et il en avait ri
d’avance dans son for intérieur. Il s’était donc positionné derrière la chaise
pour placer Louise assise et bien droite.
L’empreinte.
Cette sotte idée de dernière minute, l’avait mené à laisser l’empreinte gauche
de ses précieuses baskets entre la chaise et le mur.
Il
était ensuite rentré à Genève pour prendre son service à l’hôpital.
La
combinaison avait atterri à la buanderie ; l’arme au service de
stérilisation. La copie des clés, au fond du lac. La valise, à la déchetterie.
Il avait cru le crime parfait.
Ben
Roche fut informé de ces aveux complets, recueillis par le Ministère Public,
qu’il partagea avec son équipe.
La
tradition fut alors respectée de partager un joyeux moment ensemble pour
trinquer (au café, à la tisane ou à l’eau de robinet) à cette réussite.
Les
téléphones sonnaient déjà, d’autres affaires tombaient sur les bureaux.
D’autres auteurs étaient convaincus d’avoir commis le crime parfait, alors même
que chacun sait que le crime parfait n’existe pas. Il n’existe que l’imperfection
humaine. Le détail qui échappe à la vigilance, celle de l’auteur ou celle des
enquêteurs.
La
fin de la journée de travail fut accueillie avec bonheur par l’équipe, d’autant
plus que les soirées, avec l’été qui s’annonçait, se faisaient déjà plus
longues. De quoi profiter encore d’une terrasse ou d’une balade avant de
rentrer.
Ben
repensait à Tom Serena. Il avait immédiatement remarqué qu’il avait toujours
évoqué sincèrement des rapports houleux avec Louise, alors qu’Alain Deville
avait minimisé, caché, simulé, ce qui correspondait à la conduite usuelle
adoptée par les coupables. Lisser, embellir, pour ne pas éveiller les soupçons,
dépister.
Voilà,
ils avaient trouvé le meurtrier de Mme Louise Klopfenstein.
Cette
affaire rocambolesque allait rester dans les annales, pensait Ben en déambulant
paisiblement pour rentrer chez lui où l’attendait Julie.
En
flânant, il repensait à la valise et au récit de Tom. Mme Louise Klopfenstein
avait jeté le trouble autant de son vivant que morte, en rouspétant à force de
borborygmes et autres flatulences aussi depuis sa valise.
A
l’évocation de cette image, Ben Roche ne put s’empêcher de sourire. Puis de
rire. Pour finir par se tordre de rire, au point qu’il dû s’arrêter, plié en
deux, pour se tenir à un poteau.
FIN
Commentaires
Enregistrer un commentaire