"Un cadavre en vadrouille" chapitre 18
Chapitre 18
LUNDI
Week-end
laborieux ou festif derrière eux, les membres de l’équipe connaissaient
toujours le même plaisir à se retrouver les lundis matin. Ils formaient une
petite brigade, mais bien soudée. Quelques accrochages avaient ponctué leurs
débuts, car chacun venait d’horizons divers. Points de vue différents et
expériences disparates avaient dû chercher leur chemin vers une harmonie
commune et partagée. A chacun ses points forts, et voilà composée une escouade
aux compétences bien affirmées. A chacun son truc. Pour l’heure, à chacun son
café. Avec ou sans sucre ou lait, bien tassé ou mini piscine. Les échanges sur
les petits/grands bonheurs ou malheurs vécus le week-end allaient bon train,
entre moqueries et (si nécessaire) mots d’encouragement.
Ben
avait rejoint ses subordonnés dans la minuscule cuisine et il écoutait leurs
bavardages avec un léger sourire tout en guettant le dernier croissant qui
traînait encore par là en attendant d’être englouti.
Débriefing.
Tous
avaient reçu les photos envoyées par Robert. Il manque un peu de style,
s’accordaient-ils à dire, en commentant le tableau que Tom Serena s’était
efforcé de composer dans sa chambre d’amis, mais il fait preuve d’un certain
talent.
-
Que
vous suggère-t-il ce tableau ? Demanda Ben.
Ils
partageaient tous une même opinion, et Délia exprima la pensée commune :
- Il est rare qu’un assassin déploie tant d’énergie et de ressources pour… trouver l’assassin.
Tous
sourirent à cette sortie.
- Oui, confirma Ben, c’est bien rare. Mais il faut m’en dire plus.
Ils
se regardaient perplexes.
Stéphane
percuta.
- Il ne s’agit pas d’un tableau élaboré par un auteur qui se complait et se délecte dans la contemplation des détails de son crime. On dénote une réelle démarche intellectuelle qui vise à organiser des idées à la recherche de l’auteur du crime.
Les autres
sifflèrent admiratifs devant une si docte explication.
- Voilà, ce n’est pas le tableau d’un psychopathe qui collectionne coupures de presse, photos et autres en guise de trophées.
- Que pouvons-nous en tirer comme conclusion ?
- Ce tableau corrobore le récit de Tom Serena. Je pense que l’on pourrait commencer à le rayer de la liste des suspects. Liste pas bien longue, ma foi, observa Robert.
- Et s’agissant de la théorie d’une éventuelle complicité ?
- Mah, soit il fait partie de la catégorie des manipulateurs très intelligents, capables d’anticiper les actes d’enquête, soit, avec son tableau et ses sacs congèle qui ont scellé les mains de la victime (et son calepin, songea Ben), il s’inscrit dans une démarche sincère de recherche de l’auteur des faits, raisonna Robert.
- On est tous d’accord sur ce point ?
- Oui, chef ! s’exclamèrent-ils en chœur et (comme toujours) avec un brin de malice.
- Qu’avons-nous appris de plus samedi ?
- Lors de la perquisition chez Tom Serena, la scientifique n’a pas trouvé grand-chose à un détail près. Mais quel détail ! Une empreinte de chaussure placée juste derrière l’emplacement décrit par Serena où se trouvait la chaise sur laquelle était (aux dires de Serena) posée Louise. Semelle taille 44, venant de baskets utilisées par des coureurs professionnels. Du haut de gamme, passablement sophistiqué. Le dessin du profil de la semelle est très typé et on ne peut pas le confondre ; de plus, il y a des marques d’usure, et en sachant que chaque coureur a son style, les marques d’usure sont en général très personnelles. Je connais déjà les résultats, car l’équipe neuchâteloise, super sympa, m’a invité à la suivre et j’ai pu assister à la suite de leurs recherches. Sur place, on a fait les photos des semelles de deux paires de baskets de Serena. Déjà, il chausse du 43. De plus, la comparaison avec l’empreinte trouvée est négative.
- Vu que Tom Serena m’a décrit M. Alain Deville comme un fanatique de la course à pieds, et qu’il a affirmé que son beau-frère n’a jamais mis les… pieds dans son appartement, il est justifié de comparer cette empreinte avec les baskets de M. Alain Deville, observa Ben.
- De mon côté, raconta Stéphane, j’ai pu récupérer les clés de l’appartement de Serena chez sa femme Estelle. Elle a signé la décharge. Il faut maintenant examiner s’il y a des empreintes digitales dessus, et si affirmatif, les comparer avec celles de M. Deville. Mais pour avoir le droit de les recueillir, il faudrait à ce stade transmettre le dossier au Ministère Public, pour qu’il ordonne sa mise en garde à vue.
- Idem pour pouvoir diligenter une perquisition à son domicile et saisir toutes ses baskets pour comparaison, observa Ben.
- J’aimerais relever encore un élément, s’immisça Robert. Nous avons enfin reçu le rapport d’autopsie. Arthur fait une observation qui a toute son importance. En retirant l’arme du crime de la plaie, des minuscules projections de sang ont pu se former. Vu que in loco, la scientifique n’a rien relevé, il ne faut pas écarter l’idée que ces gouttelettes aient pu être projetées sur l’auteur. Il faudrait voir si M. Deville porte une montre, une gourmette, ou un bracelet. Lorsque des gouttes de sang s’enfilent là-dedans, elles sont pratiquement invisibles ; bien souvent, les auteurs ne pensent pas à les nettoyer voire ils n’y parviennent pas. Je propose qu’on tente le coup de saisir montres, bracelets et tutti quanti au domicile et sur la personne de M. Deville, et qu’on les soumette à la scientifique.
- Si on a empreintes de semelle chez Tom Serena, empreintes digitales sur les clés, et gouttes de sang de Louise sur un objet lui appartenant, je crois que, en toute logique, on pourrait fortement penser, voire conclure, que M. Alain Deville est le meurtrier de Mme Louise Klopfenstein. De plus, le témoignage de M. Armand Dunand le situe sur la scène du crime à l’heure du crime. Le tout confirmé par le traçage du portable de M. Deville, qui le place autant chez Louise qu’à Neuchâtel. Je crois que le dossier pour le Ministère Public commence à tenir la route.
Ils
étaient manifestement tous d’accord avec cette conclusion.
- Et pour le mobile, chef ?
- Contrairement aux déclarations de M. Deville, répondit Ben, voulant que tout aille parfaitement bien entre lui et sa belle-mère, Tom Serena m’a raconté qu’Alain avait une dette de 10'000,- francs envers Louise, suite à un prêt qu’elle lui avait accordé. Cette dernière n’a pas hésité à en tirer profit, en le transformant en une sorte de larbin. Louise décédée, plus de dette, plus de Louise et vive l’héritage. Mobile qu’il s’agira de confirmer.
- Donc, poursuivit Ben, je suggère qu’on convoque M. Tom Serena et M. Alain Deville. Délia, peux-tu t’en charger ? Le plus tôt sera le mieux. Merci. Quant à moi, je vais demander au Procureur l’ordonnance de mise en garde à vue pour 48 heures de M. Alain Deville. Le temps d’effectuer perquisitions et saisies. Et d’avoir le droit de recueillir officiellement ses empreintes digitales.
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