La cinquième saison - l'extrait no. 7 - La vie en beige
La vie en beige
Aurelius esquisse un sourire de biais. Nous
rentrons à peine. Je me rapproche du poste et tends l'oreille. Timbre suave qui
réchauffe. Le sang andin coule au-delà de ce chant. Derrière la mélopée grave,
il y a le rythme aérien des tambours accompagnant les souffles rauques de
flûtes de là-bas. Un vieil enregistrement. On annonce son nom : Mercedes
Sosa. J'écoute sans penser à autre chose. Machinalement je joins mes mains en
forme de prière pour dire la beauté du chant. Puis c'est la fin.
– Tu
déconnes, reprend Aurelius en grommelant. Rends-toi compte, ce sont les
poissons et les algues qui donnent tout son sens à l'océan. On ne peut à tort
et à travers inquiéter les symboles comme si cela ne changeait rien.
Son regard percute le mien.
– Vous
rentrez tard, dit Val statufié par la pose; Carmen a pleuré.
Philippe a le nez plongé dans le buffet. Il empile
les paquets de biscuits qui jonchent le banc.
Comme il nous a entendu arriver, il dit sans
détourner la tête :
– Les
hélicos ont lancé des vivres. Avec les sacs, il y avait un message. Ils
demandent que nous leur indiquions si nous voulons être évacués ces prochains
jours. Sauf cas de force majeure, ils reviendront au plus tard après-demain
pour connaître notre réponse.
– Ils
ont aussi jeté de l'eau minérale, ajoute Aurelius; comme si on ne pouvait pas
récupérer ce qui tombe du ciel, non. Du vin ou de la gnôle pour se réchauffer,
il aurait fallu se lever tôt pour que cela vienne à leur esprit. Ils se foutent
pas mal de notre sort. Ils s'amusent. D'ailleurs, on ne leur demande rien.
Philippe
dit :
– Si on
ne doit compter qu’avec la nourriture qui reste, on ne tiendra pas longtemps.
Carmen s'est précipité dans les bras de sa mère,
câline ; elle l'enlace à hauteur de cou et susurre :
– T'es
zantille maman. T'aime.
– Moi
aussi, ma Carmenouchka.
Aurelius demande à l'enfant qu’il peint de baisser
le son et Val obéit.
– Je
n'ai pas encore inventorié ce qui se trouve dans le congélateur.
– Il y
a tout le stock de glaces à vendre, narquoise Aurelius.
– Que
veulent ceux qui nous épient ? ai-je demandé.
– Ils
demandent qu'on dessine un rond bien visible si on veut partir d'ici avec eux
au plus vite.
Aurelius lance :
– Tiens,
je vais leur dessiner un de ces trucs d’amarrage, avec une corde et des
personnages minuscules autour.
– Une
bite ?
– C'est
ça pour qu'ils comprennent que tout est dérisoire et qu'ici, nous résistons à
leur manigance.
Il dit à Val que la séance de pause est terminée.
Il a pris une feuille vierge et s'en donne à cœur joie.
* * *
Val a demandé si je voulais jouer aux échecs. Il
veut apprendre. J'ai dit d'accord.
* * *
Auteur : Guerdan
relacture: Anne J.
Et si le cycle routinier des saisons disparaissait dans le tourbillon des changements climatiques, que deviendrons-nous ? Manuel Guerdan visite cette hypothèse pas si invraisemblable que cela à travers une nouvelle que nous avons le plaisir de vous proposer au cours de ces prochaines semaines. Vous souvenez-vous des dernières inondations ?
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