La cinquième saison - l'extrait no. 6 - Sexe

 




Sexe

 

Nous en sommes au cinquante-septième jour de pluie, sans discontinuer.

 

Les arbres au loin baignent dans l'étendue d'eau. Les touffes des bosquets semblent reposer à la surface comme de grandes plantes marines. Il est vrai que le terrain sur lequel les baraquements d'entrée ont été construits surplombe légèrement les champs et les landes de la région. Mais dans quelques jours, si cela continue, le niveau de l'eau atteindra les premiers rondins de la paroi sud du caravansérail. Avons rapproché la barque. Me suis échiné à écoper son large ventre.

 

 

*      *      *

 

Les jours défilent. L'eau monte imperceptiblement. A la radio, on ne cesse d'évoquer ces pluies interminables. Des déserteurs ou dissidents et d’autres, les serviles de l’État au discours rutilant contrariés par quelque philosophe maussade et même des gens humbles s'étendent sur le sujet. Ils en parlent comme s'ils n'avaient rien sur le feu. Ils s'écoutent disserter et s'étonnent qu'on les écoute. Nous aussi. Les actuels changements de météo durables sont disséqués à la lueur des feux de camps qui pallient aux coupures de courant. Certains affirment que les populations doivent sans délai être déplacées vers le sud. D'aucuns prétendent qu'il reste quelques poches ici et là de groupes isolés demeurant en autarcie. Ces gens ne se sont pas encore décidés à partir. Folle ignorance : sommes au point de non-retour. On s'inquiète du sort des incertains. La femme de Pedro est venue demander du riz.

*      *      *

 

Nos repères se font de plus en plus rares. Chaque jour, un arbre, un bâtiment au loin ou une colline disparaît dans la masse d'eau. Les rives s'éloignent et nous n'y pouvons rien.

Sortons en barque Yana et moi. Flots tranquilles. Nous avons fait l'amour au fond de la barque. Les deux planches qui servent normalement de bancs sont posées à l'arrière en appui sur le bord de poupe et dessus nos vêtements couverts par les imperméables. Rames rangées sur le côté.

Le bruit des oiseaux de fer, au-dessus de nos têtes.

Souvent ils viennent en fin de journée à deux ou trois. Porte latérale ouverte ; plusieurs types casqués sont accroupis. L'œil rectangulaire d'une lourde caméra fouille le paysage. L'amante gémit, je tire la bâche verte sur elle. On ne bouge plus. Ils ont fait de grands gestes incompréhensibles, probablement hurlé quelque chose. Bruit de moteur trop soutenu pour entendre. Se sont éloignés et l'on s'est oublié encore reprenant le rythme fluide des corps oscillants. Elle se colle contre moi. L'eau sur laquelle nous dérivons laisse un goût à peine salé. Les courants océaniques ont rejoint les étendues d'eau de pluie. Si l'on ose des mouvements trop brusques, il y a le ballottement vif pour rappeler la fragilité de l'équilibre.

Mon visage à ses pieds, la langue se frayant entre les orteils écartés un passage, puis le buisson, puis l'aine, les chairs tendres ; ma tête pareille au soleil remontant doucement d'Est en Ouest son corps allongé pour atteindre l'un de ses mamelons rose pâle sur le point d'être sucé, caressé, bousculé délicatement. La pulpe rebondie que mes doigts s'empressent d'effleurer. Le flux du sang. Trancher les liens. Il n'y a plus que l'odeur d'algues et les feulements de ma compagne dans la mousson bleutée de l'air. Elle s'ouvre comme une fleur. Le ressac de l'océan battant nos tempes. L'embarcation s'arqueboute sur une vague plus forte que l'autre alors que se gonfle chaque pouce de ses marais détrempés ; laisser l'empreinte de la moindre avancée plus loin, plus violemment au cœur de la vase épanouie. Elle se redresse prend appui derrière elle et bouge d’abord doucement. Mes mains fiévreuses la tiennent sous les fesses. Ses seins voyagent. Tangage.  Je gémis dans l'étreinte tropicale qui va se disloquant, puis la paix revient sur l'horizontalité des rivages éloignés.

Il nous faut rentrer avant la nuit. Yana m'embrasse à pleine bouche. Je grelotte. Rames dans leur guide et le caravansérail loin devant nous.

La pluie s'est calmée.

 

Où sommes-nous ?

 

*      *      *

Auteur : Guerdan

relacture: Anne J.

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Et si le cycle routinier des saisons disparaissait dans le tourbillon des changements climatiques, que deviendrons-nous ? Manuel  Guerdan visite cette hypothèse pas si invraisemblable que cela à travers une nouvelle que nous avons le plaisir de vous proposer au cours de ces prochaines semaines.  Vous souvenez-vous des dernières inondations ?


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