La cinquième saison - extrait no. 4 - Écho médiatique
Écho médiatique
Il doit bien être trois
heures de l’après-midi. Me suis arrêté au café à l'entrée d'un hameau au nom
improbable. Des villageois commentent les mesures qui vont être prises sous peu
par les autorités du district. Un gars à la mine burinée et à la barbe poivre
et sel opine. Une jeune femme lit.
A peine m'a-t-elle vu
entrer qu'elle me demande du feu. En même temps, elle pose son livre plaçant à
l'intérieur ses lunettes pour garder la page. Dans une arrière-salle ouverte,
la télévision allumée. A l’écran, un présentateur gominé gris à l'embonpoint
vaguement arrêté sert des histoires gommeuses à une kyrielle de chérubins
déguisés en poupée. Ces images semblent aujourd'hui n'accrocher le regard de
personne.
Mes mains meurtries par
le froid mouillé du dehors cherchent dans une poche du sac le briquet.
Impression contrastée de sécheresse sur la peau.
Lorsque j'ai voulu
allumer, mes doigts gourds n'allaient pas assez vite. Ai essayé d'allumer
encore. Comme pour m'excuser, je dis :
– Il y a de l'humidité.
– Je vais t'aider, dit Arielle.
Elle a pris doucement ma
main droite entre les siennes, puis approché son visage et d'un coup sec a
appuyé sur la roulette et le déclencheur. A placé la tige sous la flamme. Le
tabac côtoie le feu. Elle laisse partir ma main en même temps qu'elle inhale.
Les premières volutes se dissipent à hauteur de mon visage.
– Assieds-toi ! Dit-elle en désignant la
chaise à côté d’elle.
Ne savais quoi dire, ai
juste souri.
Arielle m'a
demandé :
– Vous n'êtes pas d'ici ?
Comme elle a raison, je
ne réponds pas.
Elle poursuit :
– Moi non plus. Je suis venue pour prendre des
photos. J'aime ces temps diluviens et vous ? De toute façon, on va tous
être évacués bientôt. C'est ce qu'ils ont dit au TJ du soir.
Je me suis assis en face
d’elle et j'ai repris :
– J'aime ces temps diluviens, cela change.
– Ici, je suis tranquille pour lire. En plus
mon journal me paie. C'est vrai qu'enfin, je dispose d'assez de temps pour regarder
les ciels dévergondés. Vous savez c'est différent, tellement différent la
ville ; les bruits, les odeurs grises, les gens en ébullition ; tout
cela vous prend l’énergie. Mon chef Màp illustre exactement cet état
d’excitation urbaine.
– Vous n'étiez jamais venue auparavant ?
– Non, dit-elle. Est-ce que je peux vous
prendre en photo ?
Le vent semble au loin
repousser les arbres. A travers la fenêtre, on distingue à peine le relief doré
qui se noie dans les teintes vertes des terres environnantes. Elle reprend :
– Avec votre air de matelot tombé à la mer vous
jaillirez au milieu du journal.
Quoi répondre, mais je
ne veux pas la désobliger.
– Je suis étranger. On ne comprendrait pas.
– Vous avez peut-être raison.
Ai pris un café, puis
lui demande si elle sait où il y a une boulangerie.
– En face de l'hôtel sur la place. C'est là
que j'habite dans ce bled. A cette heure, il ne doit plus y avoir à emporter
que les douceurs. Tiens ! Je ne vous le cache pas, cela me ferait plaisir
si vous passiez me voir. On pourrait peut-être s'arranger, vous vous laisserez
prendre… En photo bien sûr.
– Merci, non, je dois rentrez et je ne compte
pas revenir de sitôt. Vous pouvez toujours me tirer le portrait dès que j’aurai
tourné les talons. Vue de dos, ironisai-je.
Les nouveaux venus ont
commencé de détourner leur regard vers nous. Suis parti en laissant le briquet.
A peine dehors, ai hésité à me retourner. Après tout, peut-être qu'un éclair a
troublé l'opacité froide du ciel.
*
* *
Auteur : Guerdan
relacture: Anne J.
Et si le cycle routinier des saisons disparaissait dans le tourbillon des changements climatiques, que deviendrons-nous ? Manuel Guerdan visite cette hypothèse pas si invraisemblable que cela à travers une nouvelle que nous avons le plaisir de vous proposer au cours de ces prochaines semaines. Vous souvenez-vous des dernières inondations ?
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