La cinquième saison - premier extrait
Entre terre, mer et ciel ; le caravansérail
Il a
fallu le hasard pour nous rassembler ici dans ce lieu d'invraisemblance et de
marais.
Il y a les cages vers l’entrée. Le parc s'étend sur près de trois cent
hectares. Derrière le sous-bois, la roseraie frissonnante déploie sa blondeur
sur la rive sud d'un lac minuscule. Dans cette zone du domaine nichent les
poules d'eau et les grèbes. Les précédents employés ont juste mis en place un
chemin de planches. Nous sommes arrivés au Parc des oiseaux en octobre, les
deux premiers ensemble, puis moi quelques jours après. Si nous revenons sur nos pas, une lande, dont
les bosquets épars offrent ombrage à quelque lièvre ou tourterelle, est divisée
au gré des déraisons de notre chef. Il nous a dit qu’on devait l’appeler
Heragt. Plus loin, on accède aux bâtiments de service par diverses voies, mais
aussi en barque. Un canal étroit joint les étendues du Nord-Est et l’océan.
Les baraquements de l'entrée qui donnent de l'autre côté sur l'enceinte des hiboux reposent sur un léger promontoire en dévers. C'est ici que nous vivons. Combien de temps encore ?
Depuis dix jours, le temps divague entre les dépressions incertaines. Il pleut la majeure partie du temps. La toiture paraît résister aux intempéries. Nous ne sortons que rarement, parfois pieds nus dans nos bottes de caoutchouc bleues. On se contente de nourrir les oiseaux. Le chef appelle comme convenu autour des neuf heures. Cinq, dix, même parfois vingt sonneries. On ne doit pas répondre sinon il nous facture la communication ; on doit juste se réveiller. Il arrive dans le quart d'heure qui suit. Ni hier, ni avant-hier, ce transfuge d’anciennes querelles n'est venu. Il se tient au chaud chez sa compagne des quartiers résidentiels.
Les pinceaux tournoient au creux de l’autre main d’Aurelius, le peintre. Nouvelles aquarelles : des arbres penchés, des oiseaux marins, un cormoran à l'œil vif et le courant d'une rivière. C’est le sujet. La radio éteinte et toujours le fœhn branché au courant de deux-cent-vingt volts, distille sa sécheresse sur les feuilles gorgées de couleurs errantes. Le pot de vodcola d'une soirée abusivement prolongée a disparu. Lait et Nesquik en poudre l'ont remplacé. Une palette de circonstance happe les mélanges secondaires tandis que le bleu de l'encre cisèle les mots perdus de celui qui apprend la langue d’ici. Philippe est studieux.
Dehors la luminosité semble diminuer encore et le vent continue de balayer les cimes.
Lorsqu’il fait beau, il arrive qu’on aille se décarcasser dans le sous-bois ombragé à l'ouest du domaine ou si l’on cherche la foule, l’on va plutôt flâner du côté de la mer. Là-bas, on rencontre les étrangères qui ne détournent pas le regard. On s'imagine, Philippe et moi, ces dames aussi légères que les étoffes jaunes et violettes qu'elles portent et qui flottent joyeusement dans le vent tandis que leur corps candides et les mamelons rafraîchis s'offrent au plaisir des yeux. Peut-être bien qu'elles ont laissé la pesanteur d'une vie rangée loin à l'intérieur des terres. Les maris insatiables de leur job ont payé rubis sur ongle des vacances sur l'autre versant du globe aux légitimes épouses pourvu qu'ils puissent prendre davantage ce qu'ils appellent du bon temps auprès de leurs maîtresses, ces dernières goûtant parfois, depuis l'époque lointaine de leurs premières chaleurs inassouvies, au charme violent de mâles séducteurs en déshérence, même si certaines d'entre elles ne rechignent pas non plus devant les faveurs lucratives de ces messieurs.
Aurelius préfère les garçons.
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auteur : Manuel Guerdan
relecture : Anne J.
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