La tour des voleurs 1/2




"Nos pas résonnaient sur les pavés brun-roux des ruelles étroites, leur écho glissant le long des murs inclinés des maisons médiévales. Mon appareil photo n’arrêtait pas de crépiter, fasciné par chaque enseigne, chaque détail d’un temps qui fut.

Au détour d’une ruelle, une enseigne couverte de mousse nous a intriguée. Elle indiquait la Tour des voleurs. Une flèche maladroite pointait vers le fond d’une impasse. Nous avons cédé sans hésiter à la curiosité. Bientôt se dressa devant nous une petite construction en mauvais état, tout en bois et pierre. Un musée.

Pour y accéder, il fallait grimper un étroit escalier aux marches déglinguées, si étroit que je ne pus que m’imaginer que nous avancions vers un suggestif repaire de bandits d’antan qui avaient bien pris leurs précautions pour ne pas se faire surprendre. Je me figurais déjà un antre obscur où la fumée épaisse s’échappant de lampes à huile voilait des visages aux traits cruels taillés dans la pierre du cynisme, conspirant dans la nuit. Une cachette de voleurs. Des voleurs réunis là pour se raconter audaces et méfaits, et parlant à voix basse, en échafauder des nouveaux.

Mais ce n’était pas ça. Dès notre entrée dans la première salle, nous sûmes que nous nous trouvions en réalité dans l’ancienne prison médiévale de la ville et que cette pièce avait été la chambre des tortures. Une pièce sombre, vaguement éclairée par deux meurtrières ouvertes dans la pierre nue en guise de fenêtres, équipées chacune d’une grosse barre en fer. Elles étaient de toute manière si exiguës qu’aucun salut par la fuite ne pouvait venir de là.

Aux murs, des aquarelles exquises aux délicates couleurs pastel exposaient l’innommable. D’insoutenables illustrations des tortures infligées à l’époque. Des corps tordus et déchirés à souhait, figés dans un cri muet hurlant l’horreur de cette cruauté bestiale. Le lieu suintait le désespoir et la violence.

Dans la minuscule salle d’à côté s’ouvrit par surprise à nos pieds le cachot le plus horrible qu’il m’a été de voir. Un trou creusé dans la roche vive, profond d’au moins six mètres et large de deux. Pour plus de sécurité, il était scellé par un lourd grillage. Un trou noir comme un puits. La notice descriptive nous informait que les voleurs, après avoir avoué, étaient jetés là, en attente de leur jugement. Mais le juge itinérant chargé des procès passait en ville une ou deux fois par an. Les malheureux gisaient ainsi dans la boue, les excréments et le froid, la pierre exsudant son humidité dans l’obscurité la plus absolue.

..."

ce texte vient du bref récit "La Tour des voleurs" par E. W. GAB

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