LA VIEILLE DAME SUR LE MACADAM de E. W. GAB
Le soir était brumeux et les trottoirs mouillés
par une pluie fine qui avait enfin cessé. La vieille dame marchait avec
circonspection pour ne pas glisser sur le bitume orné de flaques. Elle avait
décidé de ne pas prendre un taxi contrairement à l’avis de sa fille qui
l’exhortait à la prudence.
Tant pis, se disait-elle, ce n’est pas bien loin.
Elle avait passé sa
soirée à un concert pour piano et violon au Victoria Hall.
Belle soirée, songeait-elle en
s’avançant à pas lents, certes, mais pas trop car elle se portait assez bien
pour son âge, alerte encore, bien qu’un peu figée par la crainte de tomber et
de se casser une jambe.
Comme Hélène, songea la vieille
dame. Elle ne s’en est jamais remise et à
peine quelques mois plus tard, elle était bel et bien morte et enterrée. Paix à
son âme, la pauvrette, et elle évita de justesse l’éclaboussure sale et
boueuse soulevée par une voiture qui passait à sa hauteur.
-
Un peu plus d’attention, quand
même ! S’indigna la vieille dame. Il n’y a vraiment plus
d’éducation !
Elle tourna au coin
de la rue et se retrouva dans une ruelle sombre. L’agression la prit par
surprise. Un jeune homme, dont elle ne parvenait pas à distinguer le visage,
essayait de lui arracher son sac à main.
Mon Dieu, eut-elle juste le
temps de penser.
Dans un premier
temps, la peur la paralysa, son bras cramponné à la poitrine, son sac avec lui.
Le jeune homme
tirait, tirait, en respirant de plus en plus fort sous l’effet de l’effort. En
l’entendant souffler de la sorte, qu’on aurait cru à un asthmatique, la vieille
dame reprit du courage et commença à lui taper sur la tête avec le parapluie
qu’elle tenait de l’autre main.
-
A l’aide ! Se surprit-elle à
crier d’une voix que la terreur rendait forte et stridente.
-
A l’aide, mon Dieu, à
l’aide !
Le ramdam qu’elle
faisait en criant et en tapant sur le crâne du voleur parvint aux oreilles d’un
jeune homme qui déambulait tranquillement à quelques encablures de là.
Il s’arrêta net et
écouta avec attention. Mais oui, c’était bien des bruits de bagarre qu’il
entendait et la voix d’une vielle dame criant à l’aide !
Il ne réfléchit
plus longtemps et s’élança, ses pas martelant – silencieusement, en raison des
baskets – le macadam. Sans hésitation aucune, il se jeta dans la mêlée.
Et tire que je te
pousse, et tiens, et tiens, et prends ceci, et prends cela et cela encore, mais
lâche ça, nom de dieu… !
Ce fut vite fait.
La vieille dame
avait été jetée par terre dans la bousculade, son chapeau tout de travers, le
parapluie cassé, une chaussure gisante plus loin.
Il n’y a vraiment plus d’éducation, songeait-elle en se relevant péniblement. Heureusement que je n’ai rien de cassé. Ma fille m’avait pourtant dit
de prendre un taxi, de ne pas rentrer toute seule le soir. Même dans une ville
aussi tranquille que Genève. Et en plus, je vais me faire gronder.
Un peu plus loin,
le jeune en baskets dit à l’autre : - maintenant que je t’ai sorti du
pétrin, on partage ! Les vielles d’aujourd’hui sont devenues bien
coriaces !
Ils eurent vite
fait de fouiller le sac, d’en sortir le peu d’argent qu’il contenait, de le
partager équitablement, de jeter le sac et, ni vu ni connu, de se tirer en
vitesse chacun de son côté.
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