La désorientée





La désorientée

Ils viennent me chercher parfois au milieu des terrains vagues. Ils me trouvent hagarde reprenant à peine mes esprits. Mon nom est Soàd. Ensuite, je réalise que je n’ai plus à penser à rien qui puisse me tourmenter. Quand je vais mieux, ils m’offrent les mets délicats qu’un cuisinier à la voix rocailleuse a tout exprès préparés pour le retour de l’enfant jade. Et le violon est là. Ils m’encouragent. C’est toujours un plaisir intense de réinventer le son qui ploie sous l’archet. Quand je joue, j’oublie. Tout. Celui qui m’a accueillie vient contre le soir. Il s’allonge dans la cour intérieure pour lire ou écouter le bruit des cascades. Son nom est Ruben. Parfois, l’une de ses compagnes le rejoint. Le couple me demande un air que j’exécute aussitôt. Si une fausse note surgit, je souris alors que les frises subissent la mélopée des airs tournants.

Sur les plages désertées de l’océan, mes frères se retrouvent espérant le chaud. Le froid est permanent bien que la chaleur de l’après-midi soit à son point culminant, que les lézards noirs se terrent au fond des murs séparant les propriétés des nouveaux riches du cinéma. Quelle que soit la position des astres, eux grelottent. Sachez-le ! Mes frères ont toujours froid. Mais la musique me sauvera une fois encore. Ruben semble doux comme la pluie du matin. Ester m’appelle et ne promet rien. Je saisis l’instrument ; le battement nerveux de mes doigts sur le bois lustré glisse peu à peu vers une ligne sonore nouvelle. Mes phalanges vont chercher sur les cordes d’autres vibrations ; je m’éloigne en regardant leurs caresses. Je m’éloigne. La musique monte en moi, se dissout dans les hauteurs de la verrière. Un éclat vif sur les montants métalliques ; soleil rasant. Elle a basculé sous lui. A mes pieds nus, je sens éparse sa chevelure à elle qui caracole entre mes orteils. Leurs jappements s’insinuent au cœur des sons, puis se multiplient. Je fonds doucement comme un glaçon exposé au soleil du soir.

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